Plus encore que celles de la sécurité, de la santé, ou encore de l’éducation, la thématique du pouvoir d’achat est au cœur des débats de la campagne présidentielle, et à raison : la stagnation du taux de chômage en France agit en trompe-l’œil et ne peut masquer un mouvement global de précarisation de la société et des emplois. Alors que diverses études mettent en relief les augmentations conjointes du nombre de sans-abri, de personnes mal logées et de Français.e.s vivant sous le seuil de pauvreté, il apparaît que de plus en plus de nos concitoyen.ne.s peinent à boucler leurs fins de mois et que le recours à l’aide alimentaire est en hausse.

Les chiffres sont sans appel : en 2019, selon l’INSEE, 9,2 millions de Français.e.s vivaient sous le seuil de pauvreté ; l’institut admettait même que ce chiffre était sous-estimé. De plus, la crise sanitaire ayant depuis plongé nombre de Français.e.s dans la précarité, il est vraisemblable que ce nombre doive être réévalué à plus de 10 millions (le rapport Oxfam, par exemple, estimait en en janvier 2001 qu’un million de personnes avaient basculé dans la pauvreté depuis 2019). Selon la fondation Abbé-Pierre, 4,1 millions de personnes seraient actuellement mal logées, et 300 000 personnes sans-abri. L’année dernière, 13 % des citoyen.ne.s étaient payées au SMIC, qu’aucun des deux candidat.e.s présent.e.s au second tour n’entend réévaluer. 8 millions de Français.e.s dépendent de l’aide alimentaire pour vivre, et 12 millions de personnes rencontreraient actuellement des difficultés à se chauffer convenablement.

Autre marqueur fort impactant toutes les couches de la société, l’inflation a augmenté de 4,5 % en un an, en mars, toujours selon l’INSEE. Cette aggravation corrobore l’explosion du prix du carburant et des énergies, perceptibles depuis déjà plusieurs mois, qui viennent aggraver les problèmes pécuniaires de nombreux Français.e.s, notamment les plus précaires. L’alimentation est particulièrement concernée, alors qu’en France le prix moyen du caddie augmente de manière conséquente. Le tout, alors même que cette augmentation de l’inflation ne prend pas encore en compte les répercussions des sanctions et contre-sanctions économiques liées à la guerre portée par la Russie sur les terres ukrainiennes – même si ses premiers effets se font ressentir.

Si divers instituts, dont l’INSEE et l’OFCE, annoncent une légère augmentation du pouvoir d’achat global au long du quinquennat d’Emmanuel Macron, dans le meilleur des cas, celle-ci recouvre des réalités très différentes, selon les types de ménages. Surtout, le ressenti des Français.e.s est très différent ; ils manifestent une perception particulièrement aiguisée de ce problème qui vient heurter leur quotidien : selon notre étude, 60 % d’entre eux ont le sentiment que le pouvoir d’achat a diminué au cours des douze derniers mois – ressenti manifeste à plus forte raison chez les classes populaires. L’inflation galopante actuelle touchant les produits de première nécessité et autres dépenses essentielles (essence, chauffage…), doublée des conséquences économiques de la guerre en Ukraine, ne viendra en rien pondérer ce sentiment. Il paraît indéniable que sans mesures fortes mises en place par le vainqueur du second tour – et même avec –, les temps à venir seront plus frugaux, et il est improbable que la nation voudrait s’y résoudre, alors que les inégalités n’ont jamais été aussi fortes, et que le sentiment d’un écart entre le peuple et les élites se creusent.

Dans ces circonstances, le pouvoir d’achat s’invite plus que jamais dans toutes les discussions : toujours selon notre étude, c’est le thème considéré comme le plus essentiel par les Français.e.s (78%), précédant l’enjeu, important en temps normal mais ravivé par la crise sanitaire, de la santé (76%), et loin devant la thématique traditionnelle de la sécurité (64%).

Et ces inquiétudes d’ordre pécuniaire ne sont pas les seules à nourrir le terreau de la morosité ambiante : déjà, en fin d’année dernière, dans notre étude sur la mobilité électorale, les Français.e.s manifestent plus volontiers des sentiments négatifs que positifs. Plus de la moitié d’entre eux jugeaient l’état de la France inquiétant voire désespérant (61 %) et considéraient vivre dans une société injuste qui ne les traite pas à leur juste mérite (55 %). Le tout sur fond de méfiance ancrée à l’encontre des responsables et institutions politiques, auquel le président de la République sortant n’échappaient pas (52% se déclaraient insatisfait.e.s de son action).

En somme, le ou la futur.e résident.e du palais de l’Élysée, qui ne pourra se prévaloir d’un vote massif d’adhésion, aura du pain sur la planche, car si les Français.e.s devaient dans un futur proche se contenter de brioche, il ne fait guère de doute que le four pourrait souffler ses braises et rendre le climat social étouffant.

Raphaël Gazel

 

 

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