Le siphonnement, illustration d’une mutation politique
Au vu du nombre de nouveaux ralliements qu’a enregistré le président de la République sortant, Emmanuel Macron, il semble que la stratégie du siphon ait bel et bien fonctionné – et démontre en tous les cas ses capacités d’attraction de personnalités notables issues du sérail politique, anciennement affiliées aux partis traditionnels.
La déroute mémorable du Parti socialiste lors de l’élection présidentielle de 2017, avec Benoît Hamon crédité de 6,36 % des suffrages, dépassé à sa gauche par Jean-Luc Mélenchon et à sa droite par Emmanuel Macron, ne prenait pas en ce temps des airs d’oiseaux de mauvais augure pour les Républicains. Il se pourrait bien, si les tendances montrées par les sondages se confirment ce dimanche 10 avril, que le parti traditionnel de la droite subisse à son tour une importante défaite électorale – la décision de Nicolas Sarkozy de ne pas exprimer d’intention de vote est certainement un marqueur de ce déclin, tant une des forces historiques du parti était de savoir se rassembler autour du ou de la candidate investi.e. Parti socialiste et Républicains seraient alors historiquement au plus bas, prolongement d’un mouvement de fond accéléré à la fin de la présidence de François Hollande.
C’est la grande force d’Emmanuel Macron que d’avoir su provoquer le, ou profiter du, délitement des partis traditionnels associés de manière non moins traditionnelle, à la
« gauche » ou à la « droite ». De manière, même, un peu désuète, tant l’axiome « ni de droite ni de gauche » est relayé par des personnalités politiques de plus en plus nombreuses ; tant les forces politiques en présence sont en pleine mutation, entre un grand mouvement présidentiel dit « centriste », une extrême droite très forte, et une gauche aujourd’hui plus incarnée, au moins en nombre, si ce n’est en idées, par l’Union populaire de Jean-Luc Mélenchon ; tant, enfin, l’idée que PS et LR, au vu de leur alternance, seraient du pareil au même, trouve un écho parmi des strates non négligeables de la population.
Preuve de ces mutations, la force gravitationnelle exercée par Emmanuel Macron et La République en marche envers des cadres historiques du Parti socialiste et des Républicains. Le président de la République sortant, a bénéficié de nouveaux soutiens au cours des semaines passées. Éric Woerth, Christian Estrosi, Catherine Vautrin ou Hubert Falco, ont apporté leur soutien au président sortant.
De l’autre côté, des membres d’un PS en grandes difficultés depuis l’échec de Benoît Hamon en 2017, accordent également leur soutien au président sortant. Bertrand Delanoë, notamment, lui accorde ses faveurs, infligeant ainsi un camouflet à la candidate socialiste Anne Hidalgo dont il fut proche. Manuel Valls, François Rebsamen, Marisol Touraine ou Élisabeth Guigou ont également affirmé vouloir se ranger au vote Macron. D’autres figures clés de la gauche, souhaitant tourner le dos au parti présidentiel, ont pour leur part exprimé leur soutien à Jean-Luc Mélenchon : c’est le cas notamment de Ségolène Royal et, plus récemment, Christiane Taubira, investie par la Primaire populaire mais qui a dû jeter l’éponge, faute de parrainages.
Ce n’est pas un élément nouveau ; la volonté d’Emmanuel Macron d’en appeler aux meilleurs experts quelles que soient leurs obédiences ou affiliations partisanes, et symbolisée par le fameux « ni de droite ni de gauche », a fait florès depuis 2017. Il avait su rallier à sa cause une partie importante du centre (le MoDem de François Bayrou ou l’Alliance centriste de Philippe Folliot) et s’attirer les vues conciliatrices d’une partie de l’UDI, tout en séduisant une part des socialistes inquiets de l’étiolement du parti consécutif à l’échec de la campagne de Benoît Hamon, ou une frange des Républicains soucieux de s’affranchir des désagréments qu’avait engendrés l’affaire François Fillon. Les nominations d’Édouard Philippe, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Jean-Yves Le Drian ou Nicolas Hulot, ont illustré en son temps l’aptitude du président de fédérer au sein de la majorité présidentielle d’éminentes personnalités politiques ou publiques qui n’avaient pas fait campagne avec lui.
Demeure à évaluer l’impact réel de ces ralliements. Tant que les urnes n’auront pas rendu leur verdict, il est cavalier d’envisager le rôle hypothétique que joueraient les uns et les autres dans un tout aussi hypothétique futur gouvernement, ou autres groupements. Il est plausible que ces ralliements entraînent à leur suite des électeurs ayant naguère accordé leurs faveurs aux socialistes ou républicains.
RN-Reconquête ! : la préparation d’un après 2022 ?
Depuis quelques semaines, des soutiens historiques et médiatiques de Marine Le Pen ont pris leurs distances avec le Rassemblement national pour entrer dans le giron de Reconquête !, le parti lancé par Éric Zemmour le dimanche 5 décembre 2021 lors de son meeting de Villepinte. Gilbert Collard ou l’actuel député des Bouches-du-Rhône Stéphane Ravier, comptent au rang de ces nouveaux soutiens notables qui voient en la candidature du célèbre polémiste une solution plus crédible afin de solidifier plus encore l’emprise considérable des idées d’extrême droite sur le paysage politique français (les instituts de sondage s’accordent à montrer que Marine Le Pen, Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan comptabilisent à eux trois environ un tiers [33,5 %] des intentions de vote exprimées, ce chiffre demeurant à peu près stable depuis la mi-février.) Au-delà de cas particuliers tel Nicolas Bay, propulsé vice-président exécutif du parti, ils évoquent comme motifs de leurs départs ici les divergences d’opinions, les problèmes relatifs à l’implantation locale, là les difficultés d’exister dans un parti à l’organisation selon leurs dires cadenassée et clanique, et les mises à l’écart qui ont pu en découler.
Plus important encore, Marion Maréchal affirmait depuis des semaines que ses vues penchaient plus volontiers sur la candidature d’Éric Zemmour que celle de la candidate RN, et n’a pas fait secret de ses envies de retour en politique. Si ce dernier ne devrait pas advenir tout de suite, après un vrai-faux suspense, elle a formulé son soutien à l’ancien polémiste à l’occasion de son meeting de Toulon le 6 mars dernier, séduite par les « perspectives politiques » et l’« union des droites » à laquelle il entend s’atteler. Au-delà des échéances de 2022, elle souhaite préparer l’avenir.
Du côté d’Éric Zemmour, il s’agissait de porter un coup fatal à sa rivale en lui dérobant une personnalité clé de son mouvement historique – qui plus est, sa nièce –, point d’orgue de cette attraction exercée par le candidat Reconquête envers nombre de soutiens de Marine Le Pen.
La communication officielle du parti de Marine Le Pen tend à dévaluer ces désistements, voire s’en féliciter, car ils permettent de clarifier la situation, et assurent la candidate de battre campagne avec les forces vives et indéfectibles du Rassemblement national. Ils seraient simplement qualifiés de « traîtres ».
À moins d’une surprise, il semble aujourd’hui que l’ensemble de ces mouvements n’aura pas de répercussions immédiates. Ce bal des transfuges, s’il n’est pas négligeable, n’augure pas nécessairement un exode des adhérents et sympathisants du Rassemblement national vers Reconquête ! – qui vient d’accueillir son 100 000e adhérent, un chiffre important si on le met en parallèle de ceux des Républicains (près de 150 000) et du Rassemblement national (entre 20 000 et 25 000, après un record de 60 000). C’est encore plus vrai des votes qu’exprimeront les Français le 10 avril prochain. Après qu’ils eurent été proches dans les différents baromètres, notamment lors de la première quinzaine de février, Marine Le Pen a creusé l’écart avec son principal rival à l’extrême droite.
D’une scène, l’autre
Le premier rideau du bal sera tiré au soir du 10 avril, et quand il se rouvrira, c’est une tout autre danse qui devrait se jouer sous nos yeux, et qui n’aura rien d’une guinguette. Il est plausible qu’Emmanuel Macron sera présent au second tour, et il demeure le favori à sa propre succession. Dans l’hypothèse où il entamerait un second mandat, celui-ci promettrait de démarrer sous haute tension. Car, si ce n’est pas rien d’avoir fait imploser les notions de gauche et de droite traditionnelles et leurs partis afférents, Emmanuel Macron a également favorisé un autre clivage, celui entre le peuple et les élites. Qualifié par l’opposition de « président des riches », il concentrera contre lui une partie des forces vives du pays et sera très attendu sur des thématiques phares tels le pouvoir d’achat, la santé, la précarité…
Raphaël Gazel